by Amélie ELKIK
Des centaines de plateformes offshore arrivent aujourd’hui en fin de vie et leur nombre augmentera significativement d’ici 2040. Résultat, une filière du démantèlement des infrastructures pétrolières et gazières se dessine tandis que les règlementations se forgent. Toutefois, le recours systématique au démantèlement est-il la meilleure option économique, sociétale et environnementale ? Pas si sûr.
Commençons par les chiffres. Selon l’étude IHS Markit Offshore Decomissioning publiée en novembre 2016, les dépenses consacrées aux projets de démantèlement d’installations pétrolières offshore passeront de 2,4 milliards de dollars en 2015 à 13 milliards de dollars par an d’ici 2040, soit une augmentation de 540%. La raison est simple : 3 000 plateformes arrivent ou arriveront en fin de vie d’ici cette échéance – autrement dit les champs exploités seront vides.
Pas étonnant donc que le démantèlement devienne aujourd’hui une préoccupation majeure pour l’industrie pétrolière et gazière mondiale. En Mer du Nord en particulier, où les installations sont les plus datées. Mais le Golfe du Mexique ou la Mer Noire sont également concernés. Sans compter quelques plateformes éparses au large de l’Indonésie et celles qui viendront, plus tard, du côté de l’Afrique de l’ouest.
Cependant, au regard de son coût financier et temporel d’abord, et dans une perspective de long terme marquée par une intensification des tensions sur les ressources en métaux notamment, le démantèlement est-il la seule option ?
Le réemploi, ici aussi ?
La reconversion pourrait – à certaines conditions – venir s’ajouter au choix des compagnies privées ou Etats en charge des plateformes vieillissantes.
L’acier qui compose en large partie les installations offshore se caractérise par sa très haute qualité, similaire à celle de l’aéronautique. Les structures ayant accueilli des personnels plus ou moins nombreux sont sécurisées et ont obligatoirement fait l’objet d’une maintenance assidue en période d’exploitation.
A bien des égards donc, et lorsqu’elles ont été convenablement entretenues par l’opérateur, leur solidité n’est pas à remettre en question.
La question environnementale est toutefois de plus en plus soulevée par les ONG ou les institutions. De ce point de vue, si le débat n’est pas tranché, plusieurs éléments plaident davantage en faveur du maintien et du réemploi d’une partie des plateformes que de leur démantèlement total.
Notons d’abord que les nappes étant censées être vides de pétrole ou de gaz, le risque de pollution aux hydrocarbures est écarté. Mais l’impact sur la faune et la flore marine inquiète. S’il a été réel au moment de l’implantation et de la mise en production des sites, la majorité des structures sous-marines ont depuis longtemps été repeuplées par des coraux, poissons et autres espèces océaniques. Par exemple, « les structures en mer du Nord facilitent la présence du mollusque Mytilus edulis, qui modifie l’habitat pour faciliter la présence d’autres organismes », notent des chercheurs australiens dans la revue Science of the Total Environment (1). Certes « les habitats et les communautés écologiques sont maintenant modifiés par rapport à leurs configurations préexistantes », rappellent-ils. Mais le démantèlement n’assurerait pas un retour à l’état historique car les nouveaux écosystèmes « défient la restauration conventionnelle ». D’autant que « les options de démantèlement diffèrent probablement considérablement dans leurs effets sur la biodiversité, en particulier entre les options d’élimination partielle et complète, cette dernière entraînant une perte presque complète du biote récifal associé ».
Enfin, notons qu’en matière d’emploi, la reconversion de plateformes pourrait fournir un vivier local, même s’il ne sera en aucun cas comparable à la manne de professionnels brassée par l’Industrie pétrolière et gazière.
Plateformes offshores : un actif « immobilier » valorisable ?
A tous ces égards, bien des solutions peuvent donc être imaginées pour reconvertir les installations offshore existantes en ne les démantelant qu’en partie. Evidemment cela dépendra de l’environnement géographique et économique.
Mais au moins 4 types de reprise se dégagent. Industriel d’abord. En mer du Nord, d’anciennes plateformes pourraient servir de base à l’établissement de sous-stations électriques pour redistribuer l’énergie produite par les éoliennes offshore vers le continent. D’autres, comme c’est déjà le cas en Norvège, pourraient permettre d’installer des systèmes de stockage du CO2 dans les gisements d’hydrocarbures aujourd’hui à sec. Et pourquoi ne pas y construire des usines de désalinisation. Une option peu opportune en Mer du Nord mais intéressante en Afrique par exemple où le stress hydrique est déjà problématique
Les plateformes à l’arrêt pourraient aussi accueillir des services commerciaux. Dans les zones proches des côtes, où le trafic maritime est dense, certaines infrastructures pourrait supporter les zones portuaires congestionnées (au large des Pays-Bas par exemple).
Autre type de reprise possible : une utilisation de la partie émergée et immergée des structures pour la recherche. On pourrait imaginer bâtir des centres de surveillance et d’observation océaniques. Ou pour le tourisme en proposant des activités éco-touristiques par exemple.
En tout état de cause, l’option reconversion-revalorisation demandera des intermédiaires pour faire le lien entre un opérateur pétrolier et le repreneur potentiel. Mais les bénéfices devraient attirer l’attention. Pour l’opérateur-revendeur, c’est un gain d’argent d’abord. Il n’aurait ainsi pas besoin de mener entièrement son démantèlement et pourrait réaliser une économie substantielle de 15-20%. Sur des montants pouvant atteindre plusieurs centaines de millions de dollars, c’est significatif. Sans parler du gain de temps, quand normalement les opérations d’enlevage (liés à la disponibilité des navires de levage et à l’incertitude météo) et de traitement au sol pèsent lourdement sur les plannings.
Pour le repreneur, c’est la garantie d’accéder à une sorte d’adresse en mer – toute plateforme étant posée et ancrée dans le sol – sans avoir à oeuvrer dans un environnement marin très complexe et dans lequel il est impossible d’improviser. Et là encore, l’empreinte étant acquise, le planning du projet peut être raccourci.
Porte de sortie ou porte d’entrée, l’option réemploi a donc de quoi séduire sur le papier. Reste à observer sa mise en œuvre.
(1) « Decommissioning of offshore oil and gas structures – Environmental opportunities and challenges », par Brigitte Sommer, Ashley M. Fowler, Peter I. Macreadie, David A. Palandro, Azivy C. Aziz, David J. Booth. Publié le 12 décembre 2018. Editions Elsevier.